Biocarburants et carburants synthétiques en Outre-mer : les moteurs thermiques n’ont pas dit leur dernier mot

Par Redaction | Le 03/04/2023 | Environnement | Green

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Depuis que l’Europe a amendé son objectif du 100% électrique pour les voitures neuves en 2035, les perspectives de la mobilité Outre-mer ont singulièrement changé. Les entrepreneurs engagés pour la décarbonation de la mobilité y trouveront une réelle opportunité. De nouvelles pistes peuvent en tout cas être explorées. Des pistes comme les biocarburants et carburants de synthèse.

« Les véhicules équipés de moteurs à combustion pourront être immatriculés après 2035 s’ils utilisent exclusivement des carburants neutres en matière d’émissions de CO2 » (Commission européenne, le 25 mars 2023).

Les véhicules électriques théoriquement bien adaptés aux trajets courts

On le sait, les voitures électriques s’adaptent techniquement bien à des trajets courts tels qu’on les vit dans les Outre-mer. Si l’on met de côté le cas de la Guyane – avec par exemple un possible trajet aller-retour Cayenne – Saint Laurent du Maroni d’un peu plus de 500 km. Ou celui de certaines dénivelées importantes comme à La Réunion, qui mettent au défi l’autonomie des batteries, les trajets dans les Outre-mer sont largement compatibles non seulement avec les batteries des véhicules électriques, et même, pour ceux qui roulent très peu, avec une recharge par panneaux photovoltaïques, graal de la mobilité décarbonée. Pour autant le cas général est qu’il faut compter un le réseau électrique puissant pour charger les batteries des véhicules.

À la recherche de kWh décarbonés !

Or, contrairement à l’hexagone qui bénéficie d’une électricité bas-carbone grâce au nucléaire, ce réseau électrique dans les Outre-mer peine à se décarboner. Le PPE (Plan Pluri-annuel de l’Energie) de la Martinique par exemple prévoyait une électricité 100% renouvelable en 2030. On en est très loin même dans les projections les plus optimistes. Dès lors, avec un kWh aussi chargé en CO2 que celui de l’Allemagne, quitter un moteur thermique pour un moteur électrique n’apporte que des bénéfices médiocres en termes d’émissions de gaz à effet de serre, alors même que l’investissement est substantiel pour l’automobiliste (achat d’un nouveau véhicule) et la collectivité (primes en tout genre, installation de bornes de rechargement, etc.) – sans parler du coût environnemental de la production des batteries.

Du carburant alternatif dans les centrales : une fausse solution ?

Intéressons-nous à une solution avancée par certains énergéticiens : et si on produisait l’électricité avec du carburant alternatif décarboné, avec des carburants de synthèse, comme des biocarburants (produits à partir de biomasse ou à partir de CO2 capté, d’hydrogène vert et d’énergie verte) ? Par exemple, toujours en Martinique, il s’agirait de convertir la centrale électrique de Bellefontaine à un tel carburant. Sur le papier, c’est particulièrement séduisant. Sans rien changer ou presque, l’électricité se produirait à partir de carburants largement décarbonés au sens du carbone fossile. Mais est-ce réaliste ? Trois questions majeures se posent avant de plonger vers une telle solution.

Est-ce réellement significativement décarboné ?

Les processus de production des carburants non-fossiles, à partir de biomasse, de déchets ou de molécules de CO2, H2 et procédés type Fischer-Knopsch doivent s’évaluer au travers de leurs facteurs d’émission de gaz à effet de serre sur l’ensemble de leur cycle de vie. Avant de se précipiter sur une solution qui consiste à utiliser des carburants « fabriqués avec de l’électricité pour faire de l’électricité », l’expérience montre qu’il faut en analyser tous les aspects.

Par exemple, sur une autre filière, le barrage de Petit-Saut en Guyane produit aujourd’hui une électricité hydraulique, sur le papier vertueuse, en réalité très carbonée, en raison des émanations de méthane de la biomasse immergée. Des solutions sont à l’étude pour résoudre ce problème (récupération de cette biomasse pour exploitation du bois), mais qui aurait cru sans analyse qu’un barrage produise une électricité aussi chargée que celle d’une centrale thermique ? Regardons donc cela de près.

Les biocarburants et carburants synthétiques seront-ils disponibles pour les Outre-mer à un coût acceptable ?

Les réglementations de plus en plus poussées (taxe carbone aux frontières, crédits carbone, etc.) vont créer en Europe au moins une très forte demande pour ces carburants, avec beaucoup de candidats. Le secteur aérien par exemple, qui n’a pas beaucoup d’autres alternatives et ne sait pas encore bien comment produire en quantité suffisante le SAF (Sustainable Aviation Fuel) qui pourrait décarboner les vols. De plus, les moyens de production sont limités (aujourd’hui, moins de 5% de l’hydrogène produit est vert). Pas certain que lors des arbitrages futurs de l’énergie verte disponible et des carburants verts associés, les Outre-mer puissent disposer de ces carburants à coût acceptable pour les territoires.

Et l’autonomie insulaire ?

Tout milite aujourd’hui pour que les Outre-mer créent les conditions d’une résilience et d’une adaptation aux changements à venir. Celles-ci passent par une autonomie énergétique. Vivre sous perfusion d’un pétrole ou même de carburants synthétiques venus souvent de fournisseurs lointains représente un risque vital. En matière énergétique, l’équipement massif des foyers en énergie solaire serait un pas important pour cette autonomie énergétique, mais il resterait à résoudre la délicate question de la mobilité. Avant de recréer une dépendance extérieure par des énergéticiens fussent-ils décarbonés, il faudra bien en peser les conséquences et explorer les alternatives.

Explorer des voies nouvelles pour la mobilité insulaire : le biométhane ou bioGNV, ou d’autres carburants alternatifs locaux

Revenons à nos véhicules à moteur thermique. Une voie pourrait être à explorer. Elle est pleine de défis, mais économiquement attractive et décarbonée, elle renforcerait l’autonomie des territoires :  le biométhane ou BioGNV (Gaz Naturel pour Véhicules). Le BioGNV est en fait du méthane avec une production à partir de biomasse ou de déchets organiques. Ce n’est pas de la science-fiction : des expérimentations de biométhane sont en cours en Guadeloupe notamment.  Trois avantages majeurs pourraient stimuler cette évolution :

Faciliter une conversion économique pour les automobilistes, et créatrice d’emplois locaux

La transformation d’un véhicule à carburant classique en BioGNV est une opération peu coûteuse, elle ne nécessite pas de changer de véhicule. Pour le secteur de l’automobile, cette intervention pourrait de plus créer une nouvelle filière d’activité et d’emplois non délocalisables.

Créer une nouvelle filière énergétique au sein des territoires

Le BioGNV peut être produit localement à partir de biomasse ou de déchets organiques. Cela viendrait renforcer l’autonomie énergétique des territoires. Activité industrielle, semi-industrielle ou artisanale, la création de méthane par fermentation classique, par pyrolyse, ou par gazéification hydrothermale sont des procédés en plein développement dans le monde, que les territoires insulaires pourraient mettre en œuvre, là aussi en créant des emplois locaux et durables. Pourquoi pas en important une partie de la biomasse, et en assurant sa transformation à valeur ajoutée localement. Le temps que le territoire sache produire du BioGNV en quantité suffisante, le GNV (gaz d’origine fossile) fournirait également une transition pour mettre en place l’écosystème :  convertir le parc de véhicules, équiper les stations, etc.

Faciliter une autonomie stratégique des territoires

Enfin, le BioGNV ferait fondre le bilan carbone de la mobilité insulaire, et mettrait les territoires davantage à l’abri des soubresauts prévisibles des approvisionnements énergies fossiles dans les décennies qui viennent.

Solution rendue possible par le changement de pied de l’Europe du 25 mars dernier qui n’exclut plus la vente des voitures à moteur thermique en 2035, le bioGNV représente une opportunité à la fois pour les véhicules du parc existant que pour les véhicules neufs, aussi bien pour les automobilistes que pour les professionnels du secteur. D’autres possibilités pourraient être possibles (éthanol, carburant synthétique, etc.) mais le BioGNV a l’avantage d’être déjà opérationnel dans l’hexagone, à partir d’exploitations agricoles par exemple.

Rappelons pour mémoire qu’il faudra aussi dans tous les cas moins rouler, favoriser le covoiturage, développer massivement des infrastructures de pistes cyclables sécurisées. Aucun modèle alternatif au trop généreux pétrole n’échappera à la modération ni à la sobriété. Mais pouvoir continuer à se déplacer rapidement à coût acceptable restera un besoin et un atout considérable.

Développer un modèle de mobilité insulaire qui s’appuie sur les forces vives locales et non sur la perfusion des ressources fossiles est une perspective qui a du sens.

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