TCSP : la Guadeloupe oscille entre ambition et prudence

Par Priscilla Romain | Le 16/05/2022 | Actu | L'auto & vous

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Lentement et prudemment, Cap Excellence avance sur ce qui se présente déjà comme l’un de ses plus grands défis en matière de transport et d’urbanisme : le TCSP (transport en site propre) en Guadeloupe. D’abord porté par l’idée d’un tramway, puis abandonné en raison des coûts et d’une logistique trop importante, le projet pourrait renaître par l’usage de bus à haute qualité de service (BHQS).

En 2021, lors d’un conseil communautaire de Cap Excellence, un dossier qui semblait enterré depuis 2013 réapparaît ; avec toutefois quelques amendements. On ne parle plus de tramway, mais de BHQS. Par ailleurs, on découvre un projet du TCSP en Guadeloupe conceptualisé en tranches qui maximise les infrastructures existantes. Les élus avancent avec prudence. En 2013, l’idée de tram avait fait grand bruit. En effet, elle venait mettre en cohérence le projet de plus en plus assumé du développement de la Guadeloupe par son cœur. Or, les études de faisabilité lancées à l’époque en ont rapidement démontré les limites. Parmi les plus importantes, la difficulté pour un EPCI de porter, seul, un projet aussi pharamineux sur le plan financier (estimé à plus de 400 millions d’euros).

Le TCSP en Guadeloupe : un coup de boost venu de l’État

L’année dernière, la Guadeloupe (avec quatre autres DROM) remporte le 4ème appel à projet « Transports en site propre et pôles d’échanges multimodaux. » Le résultat, annoncé par le 1er ministre de l’époque Jean Castex, entérine la volonté de l’État de soutenir le développement des transports urbains dans les outremers ; et s’accompagne d’une subvention conséquence de 13,6 millions d’euros. L’apport représente un peu moins d’un tiers du financement prévu pour la 1ère tranche du projet.

« Même s’il est clair que l’État valide notre projet et nous encourage à continuer sur cette voie, nous n’en sommes pas encore à voir circuler les bus dans l’agglomération. Cette subvention représente 17% du budget total de la 1ère tranche ; il nous faut donc continuer à travailler sur le budget final du projet du TCSP en Guadeloupe ; qui réunit les efforts de la Région, du Département, du FEDER et bien sûr de l’État » tempère Patrick Rilcy, directeur général des services du syndicat mixte des transports (SMT).

Le projet final prévoit une couverture de près de 45 kilomètres pour mettre en cohérence une vaste zone allant d’est en ouest, du Gosier à Sainte-Rose et du sud-est ou nord-ouest de Petit-Bourg à Morne-à-l’Eau. Mais la 1ère mise en service ne devrait concerner que l’agglomération même de Cap Excellence. En effet, le syndicat prévoit une sorte d’axe croisé ; entre les quartiers prioritaires de Pointe-à-Pitre, les Abymes et Baie-Mahault puis s’étendre le long de la nationale 4 jusqu’aux abords du Gosier. Cette phase initiale a pour objectif de désengorger une zone déjà fortement impactée par les ralentissements aux heures de pointe.

Plus raisonnable, plus pragmatique

Plus raisonnable dans le budget, dans le tracé, mais aussi dans la logistique. La Guadeloupe veut se différencier de ce qui a été fait en Martinique ou en Guyane ; où les deux collectivités se sont engagées sur des projets lourds et construits ex-nihilo. Le SMT veut s’appuyer sur l’expérience de son actuel service de transport ainsi que sur les infrastructures existantes. Il ne s’agit donc pas de créer à tout va des voies. Mais de remodeler les axes actuels et de n’en créer que lorsque c’est inévitable.

« Les voies ne seront pas pensées exclusivement pour le BHQS. Nous voulons mutualiser les couloirs de transports. Ainsi, les transports scolaires ou encore certaines lignes régulières, seront amenés à utiliser ces voies ; au même titre que les bus du syndicat.» explique Laurent Cheraldini, responsable du service transport et mobilité au SMT. En plus d’offrir un confort aux usagers, cette solution permet, là aussi de jouer sur le budget.

« L’analyse du projet Martiniquais montre qu’il y a eu une dépense de près de 500 millions d’euros pour 20km de voies. Alors que notre budget global s’établit à 320 millions d’euros pour 45 kilomètres de voies » continue Laurent Cheraldini.

La mutualisation des voies devrait aussi permettre d’éviter les crispations des automobilistes ; à l’image de ce qui a pu être observé en Martinique ou en Guyane, où la création des voies avait, par endroits, aggravé la circulation aux heures de pointe.

Application de l’intermodalité

D’autre part, même dans sa 1ère tranche, le projet Guadeloupéen intègre d’emblée l’intermodalité. Aussi, un usager qui aura validé un ticket à l’une des stations de la ligne pourra tranquillement poursuivre son voyage jusqu’à sa destination ; que ce soit par les BHQS, les bus traditionnels Karulis ou tout autre moyen de transport mis en place sur son trajet par le syndicat.

« Nous avons commandé des vélos électriques par exemple, toujours pour rester fidèle à notre engagement de transport durable, qui viendront compléter le service offert aux usagers. » précise Patrick Rilcy.

Le SMT veut aussi apaiser les réticences des usagers de la périphérie que l’hyper-urbanisation de la Guadeloupe par le centre tend à agacer. Là encore, il répond de manière pragmatique.

« Il faut bien comprendre que l’urbain attire l’urbain et que la ville se développe en cercle concentriques. Cap Excellence rassemble 30% de la population de la Guadeloupe. En ma qualité d’urbaniste, si je tournais le dos à ce nœud, je pense qu’il est assez clair que je me tromperais de combat. Il y a dans la zone des quartiers prioritaires à desservir afin de les mettre en cohérence avec le reste du territoire. C’est aussi cela la grande ambition du projet TCSP. » termine le directeur des services du SMT.

Le cadre posé, reste encore à vaincre l’un des plus grands défis de ce projet, son cadre administratif.

2022 vers une 1ère concrétisation d’un TCSP en Guadeloupe ?

Sur le sujet du transport, la Guadeloupe a toujours avancé par petits pas ; entre les initiatives de l’État et des collectivités locales. Si la naissance du SMT a marqué l’ambition de Cap Excellence, soutenu par les collectivités majeures, de se diriger vers un transport urbain cohérent (sorte de 1ère expérimentation du transport public grandeur nature) ; encore faut-il, sur un projet aussi ambitieux que le TCSP en Guadeloupe, organiser l’enchevêtrement administratif entre tous les maîtres d’ouvrages. C’est à dire la Région, le Département, l’EPCI et les mairies.

C’est dans cette optique, que, lors de la conférence territoriale de l’action publique (CTAP) dédiée au transport qui s’est tenue en mars 2021, les élus ont opté pour un consensus qui transforme le SMT comme autorité unique en matière de transport. Une décision volontariste, qui ne règle pas tout ; mais qui permet au moins de lancer la lourde paperasse des marchés publics. Ainsi, un échéancier a été mis en place et les premiers marchés destinés au recrutement de l’assistance à maîtrise s’ouvrage (AMO) devraient être publiés en juin 2022. En attendant, le syndicat continue de travailler avec les collectivités ; chacune sur leurs tronçons, et à mener des concertations sur tous les niveaux.

Le chemin est donc encore long et pavé d’embûches. Mais la Guadeloupe a choisi d’avancer en mêlant ambition et prudence. Les élus, chahutés sur toutes leurs compétences autant par l’État que par leurs propres citoyens, savent qu’ils n’ont pas droit à l’erreur sur ce dossier. Chaque jour, ce sont plus de 160 000 véhicules qui convergent vers le cœur de la Guadeloupe ; et malgré une belle couverture, les actuels bus du SMT sont loin d’être utilisés à leur plein potentiel. L’usage de la voiture a impacté très fortement l’urbanisation de certaines zones.

Aussi, la réussite du transport Guadeloupéen passera autant par la réussite d’un formidable travail d’équilibrisme des collectivités, que par l’évolution rapide des mentalités ; et de la conception du transport par les usagers.

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